Signe de cette époque post-Covid, notre quotidien professionnel implique toujours plus de dématérialisation. Tout parait abstrait, relatif, insaisissable. Aux antipodes, la taille de pierre implique de composer avec une matérialité brute qui ne se laisse pas dompter. En quoi alors l’initiation à une telle pratique artistique ancestrale permet-elle de repenser notre travail contemporain ? Exploration d’un atelier où l’art rejoint les pratiques managériales.

Associer art et management n’a rien de nouveau : c’est même un classique dans certaines formations supérieures spécialisées. Toutefois, sur le terrain, pinceau ou ciseau en main, l’expérience prend une autre dimension. En suivant deux sessions d’initiation à la taille de pierre dans l’Atelier de Gregory Philippe dans le Marais à Paris (https://tailleur-pierre.fr/), et en échangeant avec les managers participants, j’ai pu constater, en tant que chercheure, tout l’intérêt de cette pratique pour repenser la gestion et le management de projet.

Après une nécessaire introduction suivie d’une brève formation par l’artisan, chacun se retrouve face à son carré de pierre tendre encore vierge, quelques feuilles et crayons, les instruments de taille et un temps limité à deux heures. 

À l’image d’un projet d’entreprise, les ressources sont présentes mais contraintes. De premières idées sont projetées sur le papier, gommées, raturées, recommencées. Visiblement, l’écart entre le résultat imaginé – idéal – et les compétences de chacun en dessin se fait sentir. 

Enfin, la cristallisation du projet s’opère, comme dans n’importe quel autre projet mené en équipe au bureau, et au bout de quelques minutes, les ambitions se réajustent à ce qui parait plus raisonnable d’envisager pour s’assurer que l’atelier se clôturera sur un résultat satisfaisant. Le projet se retrouve alors projeté sur la pierre pour passer à la taille.

L’artisan regarde, silencieux, la façon de travailler de chacun. Il réajuste parfois les gestes ou conseille d’autres angles pour des résultats plus harmonieux. Mais la pierre – qui symbolise ici la contingence, c’est-à-dire l’environnement complexe et mouvant, politique, économique et social, avec lequel toute entreprise doit composer – ne se laisse pas si facilement dompter. Un coup de maillet trop vif décollera trop de matière, et là – en pleine exécution – il faudra maitriser ses émotions et se montrer agile : reconsidérer tout le projet, et faire avec.  

La démarche devient alors itérative, nous rappelant l’approche scrum où chaque geste permet de mieux anticiper le prochain, en associant avec toujours plus de précision la force mise dans le coup et le résultat matériel produit. Les participants entrent dans une phase intense d’apprentissage, où ils développent une tout autre forme de concentration puisque leur corps est tout aussi mobilisé que leur esprit. Certains s’entraident spontanément, partagent leurs observations, d’autres font directement appel à l’artisan.

Enfin vient le moment où chacun présente sa réalisation finie et explique son cheminement, satisfait, soulagé et un peu fatigué. La pierre imposant son rythme, loin des logiques de performance et d’urgence, tous réinterrogent alors la gestion du temps dans leur entreprise : Comment mieux faire ? Vraiment anticiper ? et surtout bâtir durablement ?