Chroniques - Facilities, site du Facility management Chronique

  • Facility Management et déspatialisation du travail

    Delphine Minchella Enseignante-chercheuse - Ecole de Management de Normandie

    Delphine Minchella - Facilities, site du Facility management

    Les espaces des entreprises connaissent actuellement un changement radical de paradigme. Entre développement du télétravail, multiplication des espaces de travail hors organisation (co-working), émergence des bureaux dépersonnalisés (flex-office) et nouvelles organisations spatiales en activity-based offices, le rapport employé/entreprise évolue à une vitesse vertigineuse. Si l’on ajoute à cela le fait que de plus en plus d’organisations – suivant le modèle des GAFA – entendent faire de leurs locaux un véritable atout en matière de marque employeur, nous comprenons que l’espace représente plus que jamais un enjeu stratégique majeur.
    Aussi, comme avec tout instrument puissant, chaque décision en matière d’aménagement doit au préalable faire l’objet d’une considération sérieuse, car les risques de produire les effets inverses à ceux recherchés sont bien réels.
    Evoquons les relations informelles au travail : La littérature scientifique a établi, de façon claire et depuis plusieurs décennies déjà, l’impact positif que celles-ci ont sur le sentiment d’appartenance à l’entreprise (source de motivation), et par-là même sur l’engagement.
    Par ailleurs, il a été démontré que ces relations informelles permettent l’émergence de plus de collaboration entre les services et favorisent l’innovation. Il est donc important d’en maintenir la pratique.
    Or l’espace a un impact fort sur celles-ci, et le nouveau paradigme évoqué plus haut peut les mettre à mal. En effet, avec des bureaux dépersonnalisés envisagés à grande échelle, les probabilités de voir les rituels de rencontre cassés par les changements quotidiens de localisation de chacun ne sont pas négligeables. Il en va de même avec l’absence de territorialisation que ce type de système suppose, qui prive les employés d’un moyen usuel et répandu d’appropriation de son espace de travail, et provoque – par ricochet – une plus grande distanciation entre l’employé et l’employeur.
    Sans pousser la projection de cette tendance jusqu’à affirmer que « le bureau de demain n’est plus qu’un lieu de passage » comme l’ont fait Iavena et Adam dans un article académique publié en 2017[1], force est de constater que les indicateurs pointent vers davantage de despatialisation du travail des salariés. Comment les entreprises peuvent-elles alors préserver la vie sociale en leur sein et éviter que leurs locaux se confondent avec ceux d’un tiers-lieux anonyme ? La réponse est sans doute à aller chercher vers le Facility Management.
    En effet – et pour paradoxal que celui puisse paraitre de prime abord – avec cette évolution, les prestataires seront de facto plus présents dans l’entreprise que ses propres salariés, de par la nature même des services qu’ils proposent en terme d’accueil, de sécurité, de restauration, de maintenance et de propreté.
    Or, leurs connaissances de cet environnement qu’ils fréquentent plusieurs heures par jour et auquel ils contribuent activement, pourront certainement constituer un atout majeur pour conserver un lien fort entre espace et employés du site client. On peut même imaginer que ces derniers bénéficient de davantage de services pour aller dans le sens du développement de la marque employeur.
    Dans ce contexte, le Facility Management peut s’imposer comme un véritable facilitateur de la vie organisationnelle pour chacun, capable de répondre à toutes les questions et anticiper toutes les demandes : une jonction nécessaire entre l’entreprise, ses locaux et ses employés.
    Ce changement de paradigme spatial et organisationnel est certainement l’occasion qu’il faut saisir pour actualiser les pratiques du Facility et refondre totalement l’offre. Les processus actuels n’ont que trop vécu et montrent des failles qui paraissent impossibles à combler si le système actuel n’évolue pas (turn-over excessif, abandons de poste, démotivation, qualité servicielle difficile à maîtriser, etc.). Par ailleurs, cette nouvelle approche pourrait permettre de valoriser la profession – et par-là même son attractivité – et donner un sens nouveau à la mission.
    [1] L’immobilier à l’épreuve du numérique : du bureau attribué au bureau de demain